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Dans cet épisode, nous allons faire un petit tour du côté de l’étrange, du fantastique, du merveilleux. Nous allons illustrer notre propos à travers l’exemple des premières pages du Tome 1 d’Harry Potter de J.K Rowling…
« Ce fut au coin de la rue qu’il remarqua pour la première fois un détail insolite : un chat qui lisait une carte routière. Pendant un instant, Mr Dursley ne comprit pas très bien ce qu’il venait de voir. Il tourna alors la tête pour regarder une deuxième fois. Il y avait bien un chat tigré, assis au coin de Privet Drive, mais pas la moindre trace de carte routière. Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Il avait dû se laisser abuser par un reflet du soleil sur le trottoir. Mr Dursley cligna des yeux et regarda fixement le chat. Celui-ci soutint son regard. Tandis qu’il tournait le coin de la rue et s’engageait sur la route, Mr Dursley continua d’observer le chat dans son rétroviseur. L’animal était en train de lire la plaque qui indiquait « Privet Drive » – mais non, voyons, il ne lisait pas, il regardait la plaque. Les chats sont incapables de lire des cartes ou des écriteaux. Mr Dursley se ressaisit et chassa le chat tigré de son esprit. Durant le trajet qui le menait vers la ville, il concentra ses pensées sur la grosse commande de perceuses qu’il espérait obtenir ce jour-là. »
Mr. Dursley, c’est l’oncle d’Harry Potter, celui qui l’a hébergé dès son enfance après la mort de ses parents. Dans cet extrait, Mr Dursley est en plein dans l’incertitude. A-t-il vu ou n’a-t-il pas vu le chat lire la carte routière?
« Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connait que les lois naturelles, face à un évènement en apparence surnaturel ». C’est ce que nous explique Tzvetan Todorov dans son essai intitulé: « Introduction à la littérature fantastique ».
Le fantastique est comme un fil tendu où le lecteur, tel un équilibriste, balance en permanence entre deux possibilités :
– soit les évènements qui semblent surnaturels trouvent une explication rationnelle et nous tombons dans l’étrange…
– soit les évènements surnaturels ne répondent pas aux lois que nous connaissons et nous basculons dans le merveilleux…
A partir du moment où l’hésitation disparaît, nous ne sommes plus dans le fantastique.
Le doute ne va pas durer longtemps dans Harry Potter, nous sommes véritablement dans le merveilleux. Pour moi, les doutes d’Harry disparaissent définitivement au moment où il réussit à rejoindre la voie 9 3/4 où l’attend le Poudlard Express qui va l’emmener dans sa nouvelle école:
« Il fit tourner son chariot et regarda la barrière entre les voies 9 et 10. Elle paraissait très solide.Il s’avança alors en poussant son chariot et marcha de plus en plus vite, bousculé par les voyageurs qui se hâtaient vers les voies 9 et 10. Penché sur son chariot, il se mit à courir. La barrière se rapprochait dangereusement. Trop tard pour freiner, à présent. Il n’était plus qu’à cinquante centimètres. Il ferma les yeux et attendit le choc.Mais il n’y eut pas de choc. Il continua de courir sans rencontrer aucun obstacle et lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit une locomotive rouge vif le long du quai où se pressait une foule compacte. Au-dessus de sa tête, une pancarte signalait : « Poudlard Express – 11 heures ». En regardant derrière lui, Harry vit une grande arche de fer forgé à la place de la barrière et des tourniquets. Un panneau indiquait : « Voie 9 3/4 ». Il avait réussi à trouver son train. »
Le monde merveilleux se caractérise notamment par le fait que les protagonistes trouvent leur monde tout à fait normal. C’est exactement le cas dans l’extrait qui va suivre. Une fois tranquillement dans le Poudlard Express, Harry explique à son nouvel ami Ron que les photos dans son monde ne sont pas tout à fait identiques…
« – Tu sais, chez les Moldus, les gens restent immobiles sur leurs photos, expliqua-t-il.
– Ah bon ? Ils ne vont jamais faire un tour ? demanda Ron, étonné. Ça, c’est vraiment bizarre. Harry vit alors Dumbledore reprendre sa place sur la photo et lui adresser un petit sourire. »
Chez Harry Potter, on a vu que le fantastique est très éphémère. A peine quelques pages sur toute l’œuvre. D’ailleurs, on peut même se demander si le lecteur est seulement monté sur le fil de l’équilibriste. A mon avis, on ne peut pas considérer que le lecteur soit dupe. Il sait dès le départ, rien que par le titre d’ailleurs, « Harry Potter et l’école des sorciers », que nous serons dans le merveilleux et non dans le fantastique…
En fait, le nombre d’œuvres où le fantastique ne disparaît pas au profit de l’étrange ou du merveilleux est assez restreint… Dans son essai, Todorov prend l’exemple de la « Tour d’Ecrou » de l’écrivain Henry James écrit en 1898.
Pour conclure, l’essai de Todorov est paru en 1970 et la littérature de l’imaginaire a depuis beaucoup évolué. Aujourd’hui, le terme que l’on retrouve le plus souvent pour parler des œuvres fantastiques ou merveilleuses est le terme de « Fantasy »!
Un grand merci à Caroline pour l’idée du sujet…